En visite à l'anthropole de l'université de Lausanne...
Une imposante bâtisse de béton semble engloutir la modeste
station de métro d’à côté dès que nous entamons le périmètre de l’université,
non loin de l’autoroute Lausanne-Genève. C’est une masse de béton aux formes
cubiques d’une esthétique austère qui lui enlève toute forme d’effusion
sentimentale. Quand on la voit pour la première fois, ses coins parfaits
incitent à une admiration puritaine, instiguant à tout individu une
reconnaissance instantanée de la grandeur incluse dans l’architecture, mêlée
des tracés sinusoïdaux. Ayant, en tant que journaliste, reçu, il y a quelques
années, un admirateur de Le Corbusier, je ne pouvais m’empêcher de percevoir
une certaine influence de sa conception architecturale, à travers la sobriété
des lignes et des formes résistant à toute forme d’obsolescence que le temps
inflige à tout ce qui est sous son emprise.
La voiture de celle qui tient à me faire visiter le lieu
s’arrête, un dernier coup d’accélérateur qui fait vrombir le moteur et le
silence devient complet. Mon œil contemplateur et stupéfait balaie encore la
simplicité de façades qui nous font face depuis là où nous sommes garés. Nous
descendons sur le parking et nous nous dirigeons vers l’une des entrées, avec
ses portes dociles et coulissantes qui s’écartent comme pour faire révérence à
chaque individu qui veut en franchir le seuil, cette merveille technologique
jouxte une autre porte qui, elle, s’ouvre manuellement. Je pense que le
concepteur de cet immeuble de béton voulait cette altérité pour marquer à la fois
la modernité et l’importance de vieilles formules qui ne demeurent pas moins
obsolètes pour autant.
C’est le milieu du mois de juillet, la bâtisse semble
délaissé, une orpheline qui s’apitoie sur le sort que lui inflige le
calendrier académique. Les étudiants ont fini les examens, leurs mains
fatiguées d’écrire dans les auditoires des laïus se reposent, leurs pieds
n’arpentent plus les couloirs, ne parcourent plus les estrades des auditoires
qui sont au comble d’un mutisme inconscient que leur font subir les instants
estivaux. Le coin semble trempé dans une tranquillité funeste, même que l’écholalie
de nos pas retentit fugace, bien que s’affichant des fois comme un tambourinage
frivole et aléatoire.
À l’intérieur, après avoir essuyé nos semelles depuis ces
paillassons fiers d’aseptiser sous nos pieds, nous avançons vers les escaliers.
La quiétude pendante qui s’exfiltre dès le franchissement du portique est
consternant, vite, l’on se sent oint d’une forme de placidité imparable. Les
couloirs de l’Anthropole sont bien vides, mais une autre présence devient
visible : celle des murs. Seuls les murs de béton regardent les visiteurs
dans une imperturbable indifférence devenue presque notoire depuis les
premières générations ayant fréquenté ce lieu culte des disciples de Prométhée.
Une fraîcheur semble s’élever du parvis que nos pieds piétinent
à grandes enjambées, le rez de chaussée respire les recoins déserts en soif
d’activités qui ne reviendront que plus tard, son restaurant apparaît
désaffecté. Des escaliers aux rambardes en acier comme des spirales traversent les
différents étages de bas vers le haut à des intervalles intermittents.
Une petite envie me ceint le boyau, une expulsion qui me paraît
bien fluide et imminente à laquelle une nonchalance est quasiment impossible et
irresponsable, une pression indéniable qui me convainc d’ouvrir mes lèvres pour
poser une question bien indélicate à laquelle je ne savais me substituer. Je
demandais à mon interlocutrice qui connaissait le bâtiment de me montrer les
toilettes afin que je satisfasse ce gros besoin. Au milieu d’une interface où
nous venions d’arriver, la femme que je suis pointe l’index vers une petite
porte en face d’une autre, au-dessus de laquelle un panonceau orange indique le
dessin d’une femmelette accostée à un mur par son bras. Le cagibi dans lequel
je me renferme m’inspire confiance quand je pose mon postérieur dans la cuve
d’email, mon ventre émet tout de suite des borborygmes, puis des pétarades d’où
s’élève une effluence que mon nez supporte à peine, mais un peu assoupie par cette
vive odeur de détergent qui ne se laisse point absorber.
Après cette besogne impromptue, je me sentis bien léger,
pacifié dans mon fort intérieur. La face regardant le miroir, mes mains
imbibées de savon, les frottais l’une contre l’autre avec assiduité sans perdre
de vue la petite inscription qui dit : « attention aux
virus », en tirant la lourde porte métallique de ce sanitaire, je ne pus
m’empêcher de vérifier au-dessus le panonceau accroché pour voir à quoi
ressemblait l’homme qui y est dessiné.
La femme m’attendait toujours à l’interface où je l’avais
laissée mais en train de tripoter sur le clavier d’un Mac qui s’y trouve, dédié
à la recherche des étudiants. Curieux que je suis, ne pus m’empêcher une escale
devant une affiche évoquant une conférence philosophique, accrochée sur un mur
mitoyen de la pièce jouxtant les toilettes, estimais qu’il était bien utile de
vivre des tels instants pour être un citoyen de qualité, mais le temps imparti
pour ce voyage que je faisais à Lausanne ne saurait suffire pour que j’y
assistasse. Et pourtant, j’aurai bien aimé suivre l’évènement, une tasse de
café dans la main, enivrer mon cerveau de sciences et de rhétoriques.
Dès que je me remets à marche en direction de la femme qui
m’attendait presque sans aucun signe d’impatience, des trottinements qui se font entendre dans
ce couloir triste et stoïcien me surprennent, à peine j’avais le regard levé,
j’apercevais deux asiatiques s’exprimant dans un anglais impeccable suivi d’une
jeune fille noire qui parlait une langue presque au confluent de l’espagnol et
le portugais. Je ne savais distinguer l’une des deux. Son débit oratoire était
tellement véloce que je ne saisissais que des bribes de mots. Lorsqu’elle
atteignit le périmètre où j’étais débout, ses lèvres se fendirent
instinctivement quand nos yeux se croisèrent. Ce baume de sympathie me changea
carrément d’humeur et d’entrain.
Nous gravîmes les escaliers d’un pas hâtif comme si une
volonté inconsciente nous poussait à combler les minutes échues lors de ma
décharge aux toilettes, très poliment en compagnie de la dame, nous accédâmes
au niveau 3 où s’alignaient les départements de l’exactitude mathématique, de
l’élégance dans la narration et celui de la supputation spirituelle. En ce
temps de pleines vacances, la bibliothèque de l’une des sections et quelques
bureaux s’apercevant derrière des parois en glace translucide brillaient de
leur vacuité, les livres rangés sur les étagères attendaient en vain de servir,
les lieux paraissaient fantomatiques, en ce début de soirée, plus s’entendaient
les conversations latines des femmes faisant le ménage, et dire que l’année
passée, une amie étudiante m’y avait amené pour travailler sur un de mes
manuscrits.
La brèche des souvenirs ouverte dans ma mémoire était bien
fraîche, je revoyais la sollicitude, la convivialité, la courtoisie de cette
discussion que j’avais eue avec un groupe d’étudiants qui avait fait un exposé
sur les violences faites aux femmes congolaises de l’Est, et en ma qualité de
journaliste, je leur avais apporté un complément d’informations qui serait
utile à ceux d’entre eux qui voudront approfondir la question dans leurs études
futures.
Le calme était bien impressionnant dans ce couloir qui
grouille de monde en hiver pendant les cours, on y entend en permanence des
voix qui murmurent, des pas qui trottinent, des couverts qui tintent depuis le
restaurant en contre bas du rez-de-chaussée, comme si la vie n’était qu’un
concert de jazz à travers lequel les bruits produits par chaque individu
n’était qu’une partition s’intégrant dans une cadence mère construite en
harmonie avec le reste du monde.
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