Le droit de négligence sur les sous-hommes...
Le corps s’engourdit sous un
quintal inconnu, les muscles s’avachissent derrière l’ombre d’un mal sournois,
et malgré que je brise mon silence pour expliquer à qui de droit ces maux qui
me triturent l’existence dans ce grand bâtiment en béton, aucune interprétation
ne m’est livrée, si ce n’est que d’amabilité que je considère remplie de
malices. Et pourtant, une conviction intime m’avoue que je me suis fait prendre dans une
farce morbide, mais l’esprit molasse refuse d’y croire, refuse d’intégrer cette
révélation de mon intuition qui pressentait l’arnaque cousue au fil blanc. Je me
fiais à la clarté de leur conscience professionnelle derrière leurs blouses
blanches, à l’humanisme indéfectible inscrit dans leur charte déontologique, à
l’innocence de leurs regards d’anges pleins de sollicitude.
Alors que tout n’était qu’un amas
de mensonges, qui, au fur et à mesure, au vu et au su de ce qu’endurait mon
corps, m’amenait à bien de questions sur ce que valait encore la liberté de soigner dans
ce pays, mon scepticisme se renforçait encore quand je pouvais constater toute
la légèreté dont faisaient preuve ces gens devant la vie pour laquelle ils se
sont porté de plein gré dévoués à sa sauvegarde.
C’est de la quiétude dont j’avais
besoin, et cela ne m’était pas impossible, ma paix intérieure m’était
indispensable en territoire hostile, je suis passé d’hostilité ouverte à une
autre plus insidieuse. Le danger qui m’a fait fuir hier avait muté, s’était
déguisé en lumière enivrante d’amour et d’hospitalité, ce n’était plus qu’un
canular de bonnes intentions qui comptait plus sur notre naïveté pour nous
asséner la triste finalité à laquelle nous avons cru échapper en quittant les
contrées qui nous ont vu naître.
Ici le danger était rampant et
subtil pour les presqu’hommes que nous sommes, il est dissimulé derrière l’apaisante
gentillesse d’un sourire, derrière les imbrications tissées de la combinaison
de lois et de règlements qui se superposent, derrière le cynique minima dont
sont gavés nos destins dans un désir de nous égayer la vie alors qu’on ne veut
pas de nous, et le tout pend dans une vaste hypocrisie pleine de bonnes
manières qui dorlote la perspicacité critique.
Le corps engourdit, sent monter d’infimes
chaleurs ; des poussées anormales et éparses de geyser qui lui signifient l’invasion
dont il est l’objet, mais l’esprit aguerri résiste, il ne reste plus que lui
pour faire de la résistance et de la résilience ; toutes mes plaintes ont
été balayées au centre hospitalier universitaire d’une main, alors que
somatiquement les maux que je leur contais étaient plus qu’une évidence.
Je peux affirmer sans crainte d’être
contredit que les sous-hommes que nous sommes ici n’ont pas droit d’être
soignés, ne peuvent l’être que pour des maux bénins ; le contraire n’est
possible que lorsque tes maux auront mûri, et que ta chair en accuse l’éclatant
poids de sa maturité, que ton existence soit sur le point de s’absorber dans
une abdication de son droit d’être pour abréger sa souffrance, c’est là que
commence leur devoir de te sauver. Tant que ce schéma dantesque ne te sera pas
effectif, rien ne te sera fait.
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