Le chien et l'homme...

Dans ce pays, il a autant d’hommes qu’il y a des chiens. Les hommes adorent leur compagnie, Aldous Huxley disait que pour tout chien son maître est Napoléon, ce qui expliquerait leur popularité. Est-ce le fait d’être malléable à souhaits que veulent les hommes pour mieux se fréquenter ou accepter la rhétorique de la contradiction pour trouver les vraies voies de la tolérance commune ainsi s’accepter les uns et les autres dans ce qui peut valoir comme des criantes différences. Ces animaux de compagnie comme ils les appellent pour briser leur solitude, dans un monde où le contact devient de plus en plus difficile avec les suspicions de tout genre que nous livrent ces contradictions se terminant en frictions. Malgré cette promiscuité à laquelle nous sommes contraints dans ces boites de béton, l’indifférence semble de mise pour préserver chacun son intimité, sa triste intimité, alors nous nous rabattons sur les animaux de compagnie avec notre monologue. Un dialogue à sens unique sans contradictions. Seules ne triomphent que nos idées déversées à un être dont le regard béant ne nous comble que de satisfactions et d’une présomption de compréhension de ce que nous avons dit. Sur le visage d’un chien en confiance devant son maître, il y a ce halo de soumission et de bienveillance qui ne peut que rassurer toute âme humaine pleine de cet instinct de domination.
Les canidés ont un esprit corvéable qui met en exergue cette inclinaison à la domination qu’ont les hommes derrière le prétexte de civilité autour de cette passion animalière que semblent s’attribuer leurs esprits comme une vertu émanant de leur finesse d’esprit. L’homme a apprivoisé le chien jusqu’à lui faire perdre l’aptitude de survie et d’indépendance. Un jour dans un parc non loin de chez moi, j’en avais eu la preuve. Un joli chien en vadrouille dans le petit bois jouxtant le quartier. Surgi de la touffe d’herbes, il s’accrochait à toute présence humaine qui passait par le sentier non loin duquel il est apparu. Comme étourdi, la queue remuée dans un doute léger, son museau à terre cherchant à retracer un itinéraire qui semblait lui avoir échappé, chaque présence humaine lui était d’une inouïe assurance. De la part des plus attentifs, il recevait quelques caresses puis c’en était fini. Le poids de l’abandon de nouveau l’accablait, nul ne pouvait ne pas voir tout le désarroi dans ses yeux devenus à la fois modestes et criants d’un désespoir que ne pouvait ignorer tout cœur sensible. Quand j’arrivai à quelques mètres de lui, il venait de se faire refouler brutalement par une dame qui lui asséna de toutes ses forces le quintal de son sac de cuir sur la tête. Le canidé émit un cri succinct de détresse et vint se coltiner à mes pieds comme pour chercher une protection. La scène m’émut que je m’arrêtai. Apeuré derrière mes longues jambes, le chien regardait s’éloigner la dame, bien grosse comme un ballon roulant sur un terrain bossu. Quand je baissai les yeux au même moment les siens se relevaient, et nos deux regards se croisaient dans une parfaite symbiose dont le silence ne savait occulter la compréhension. Sa peur se dissipait à compte-gouttes devant la bienveillance mutique qui transparaissait de mon œillade. Il posa son postérieur à terre, inspecta un instant autour, puis de nouveau ses yeux me regardaient comme un militaire au garde à vous attendant un ordre de son supérieur.
Sa gueule ouverte laissait pendre sa langue haletante. Nul doute ne me traversait l’esprit, le chien se sentait plus qu’assuré. Mais je ne pouvais m’en charger. Impossible. C’était une charge dont je ne pensais point en prendre la responsabilité. La seule obligation était de le rendre à la police qui pourrait se charger de faire le nécessaire pour qu’il soit rendu à son propriétaire. Je composai le numéro de la police pendant que le canidé reprenait confiance encastré entre mes pieds la queue balayant timidement le vent. On sentait croître entre nous une complicité inattendue qui dissipait cette désespérance des premières minutes de notre rencontre. À présent, il s’éloignait dans les herbes environnantes, disparaissait pour quelques secondes puis réapparaissait dans une allégresse que trahissait la pleine effervescence de son corps en mouvement. Une assurance complète imbibait ses pattes qui les traînaient d’un coin à un autre autour de ma présence tranquillisante. Quand vint la patrouille de la police, qui passa la laisse sur le collier pendant à son cou, le chien s’assagit. Il devint soumis. Une tristesse criante habitait son silence, et cette quiétude qu’il affichait lorsque les policiers l’embarquèrent dans leur fourgonnette m’intriguait. Derrière la vitre qui nous séparait, à travers son regard assombri, j’ai pu et cru entendre son souffle d’affliction à laquelle je ne savais être insensible. La douleur de la séparation que seuls ses yeux exprimaient dans toute sa substance. Lorsqu'enfin le véhicule disparut de mon champ de vision, je réalisais combien le fait d’apprivoiser un animal le rend inapte à la survivance dans sa liberté d’être à l'aise dans son espèce.       

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