La guerre de la pensée politique en Afrique....

Le destin confisqué

Dans une Afrique post-perestroïka, où les partis uniques se sont effondrés pour laisser en fleurir une multitude, le destin démocratique semble encore prisonnier d’une cotation venue d’ailleurs, non de la population de qui il devrait tirer toute légitimité. La qualité de la démocratie dans les états africains depuis la fin de la guerre froide n’est perçue qu’à travers les avis qui s’échangent les partenaires des institutions internationales au nom de du multilatéralisme qui anime l’esprit de cette communauté dite internationale. Dans cette dynamique, l’Afrique apparaît comme l’enfant sur qui s’appesantissent tous les yeux pour veiller à sa bonne éducation malgré qu’un principe, presque fallacieux, semble être de mise et qui voudrait que tous les états sont égaux. Plus encore, il est édicté dans cette charte entre états que des notions telles que la non-ingérence dans les affaires d’un autre qui ne paraît ne jamais s’appliquer pour les pays africains. Du colonialisme, aux indépendances avec tous les assassinats et coups d’états perpétrés en Afrique avec la bénédiction des réseaux coloniaux jusqu’aux conférences nationales ayant abouti à des succès procéduraux sur le plan politique chez d’autres et à des fiascos chez certains, avec une main sous-jacente d’un occident menant le rythme dans la dynamique de ce changement, s’imposant comme facteur incontournable de ce changement, on ne peut qu’affirmer que le destin de l’Afrique est un continent encore colonisé, qui n’est pas encore sorti des ornières de la colonisation, et que son destin est encore prisonnier. Ne pas dénoncer la férocité et la fécondité de ce mal de première instance et ne chercher qu’à établir une responsabilité africaine, que nous ne nions pas, face à ce drame serait s’inscrire dans un strabisme qui ne peut aboutir qu’à une conclusion partielle et incomplète.

L’affirmation de l’être dans ce destin confisqué

Hier, des voix se sont élevées contre cette emprise néfaste qu’exerçait l’occident sur le continent ; devant la puissante machine coloniale et ses intérêts colossaux, des personnes se sont dressées pour revendiquer le droit de s’autodéterminer sur la terre de leurs aïeux où leur était imposée une logique venue d’ailleurs. Ces voix n’ont revendiqué que le droit de s’affirmer en tant qu’entité indépendante dans leur interaction avec le monde qui s’était invité chez eux en leur assignant une infériorité congénitale et une dépendance hiératique. Face à ces revendications d’indépendance qui avaient reçu la bénédiction populaire, l’occident, comme pit-bull, lâchera du lest, et s’entonneront des chants à la gloire des indépendances ; mais vite, la contre-attaque sera enclenchée pour ne pas perdre la mainmise sur ce trésor que Bismarck et compagnie dépecèrent à Berlin. Profitant de quelques incompréhensions entre les leaders de ces différents mouvements, sournoisement des coups d’états sont perpétrés sous l’instigation de l’occident et des régimes caporalistes s’installeront pour continuer à sévir derrière la palabre nationaliste, utilisée comme subterfuge, les intérêts coloniaux. Avec la guerre froide, les régimes totalitaires se renforceront, dans la défense des idéologies, appliquées dans le déni des principes, de l’un ou l’autre camp, mais avec la bénédiction des mentors de la métropole. L’histoire qui s’en suivra n’était qu’une prolongation de la pensée coloniale avec ses structures sociaux-économiques dont l’effectivité ne s’assumait qu’à travers des substituants qui veillaient à sa stricte application.

La liberté exponentielle de l’après-guerre froide

Avec l’effondrement du communisme et le triomphe du capitalisme et de son essence idéologique qu’est le libéralisme, l’Afrique post-coloniale, encore entre les mains des multiples succédanés d’un colonialisme non vaincu mais ayant muté, suit la dynamique, du moins la forme, pas le fond. Des conférences nationales sont organisées dans lesquelles des autopsies sont faites des échecs du passé jusqu’à des élections, souhaitées libres, démocratiques et transparentes. Dans des pays où la politique n’était que clérical, où la liberté d’expression n’était possible que pour louer des exploits inexistants des potentats assis sur le trône avec la bénédiction de l’extérieur, la parole critique, hier silencieuse s’est vu libérer, dans une implosion de l’analyse critique. Les intellectuels et tout observateur de la société pouvaient élever la voix pour dire ouvertement ce qu’il pense des affaires publiques. Malheureusement dans ce changement qui a auguré ailleurs des épopées démocratiques, en Afrique, il y a eu une mue des dictatures brutales vers des oligarchies démocratiques, avec des textes d’essence démocratique dans lesquels les droits élémentaires sont un acquis, dont le gain social est presque zéro parce que les brimades sont perpétrées de manière prépondérante sans aucune protection assidue de l’appareil judiciaire censé rendre les gestes de toutes les institutions conformes au droit. De là la substance de l’ordre démocratique devient sclérosée, devient vide de sens : l’autoritarisme d’hier garde tout son potentiel de destruction.

De l’intelligence de la révolte à la démocratisation de la contestation

Le sacre de la pensée en Afrique noire, de la pensée issue de l’école occidentale, a fait jaillir dans nos sociétés des dieux : des êtres pétris de science dont la notoriété transcontinentale semble avoir établi sur des trônes de légitimité absolue quant à la marche à donner à la réflexion dans un continent qui semble toujours en train de recevoir des leçons du monde entier dans cette interculturalité que nous impose l’interaction des mondes. Si la parole a été libérée depuis les démocraties de pacotille qui n’ont point bouleversé l’ordre colonial, les intellectuels adulés depuis les grands journaux de l’occident ont théorisé avec un certain succès une Afrique, comme aime toujours en entendre parler une certaine oligarchie qui pense que ce continent a plus besoin de pitié et d’aide ; ces frères ivres de leur renommée s’établissent en censeurs, mieux veulent eux adouber toute figure montante comme s’ils avaient le monopole de désigner le schéma et les entrailles de ce que doit être l’insurrection contre les abus de ce système inique qui tient tant de destins en perdition. S’évertuant dans la dépréciation de ce que peuvent valoir leurs compatriotes, ils prêchent dans un langage non pas pour susciter de l’engouement populaire pouvant amener la masse à briser les jougs de cet esclavage dans lequel elle est enfermée, mais plutôt pour impressionner les grands salons de l’occident où ils sont invités comme des guides touristiques d’une Afrique que l’on cherche à comprendre.
Face à eux - les affinés tels qu’ils se pensent, juchés dans leur orgueil des professeurs d’université, éminents invités des salons littéraires et autres manifestations de la pensée à travers l’Europe et l’Amérique - des gens dont le verbe arrive féconder la ferveur populaire, des mots capables d’enflammer l’espoir et la compréhension des choses les plus banales à travers lesquelles le citoyen lambda sait identifier que sa cause a trouvé un défenseur. Cet activisme civique dont le but est de canaliser le ras-le-bol pour enfin que l’édifice de la pseudo-dictature s’effondre est très mal vu par les théoriciens de la pensée africaine de la post-colonie ; ils vont jusqu’à dire que cet entrepreneuriat n’est qu’une forme de pathologie, au lieu de voir dans le geste sa dimension herméneutique, ils ont choisi d’en absoudre l’essence dans une délitescence tissée de leurs méninges, théoriser un nihilisme qui n’a de sens que dans leurs volontés fourbes de trôner comme l’impulsion motrice de la pensée africaine francophone. Quand eux se perdent dans le luxe des salons pour prêcher une Afrique à la fois malade de ses dirigeants et de son peuple, les autres se mêlent dans la sueur de nos pauvretés conjuguées pour montrer au peuple les origines tant proches et lointaines de sa misère. Avec un langage simple, les activistes à travers les réseaux sociaux ont pu conjuguer à l'amble l'envie d'en découdre avec la dictature et la passion de liberté qui se meuvent dans l'esprit de toute personne qui veut s'assumer pleinement dans son avenir ; ils ont démocratisé la contestation en se rangeant avec la majorité avec qui ils sont en symbiose. Quant aux intellectuels sans emprise sur le réel les tribunes de vos journaux préférés sont ouvertes pour vos élucubrations intellectuelles, vous n'imposerez votre dictature de la pensée chez aucun de ceux qui envahissent les rues torses nues pour défier ces pouvoirs injustes et illégitimes qui pullulent en Afrique.


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