Endormi sous les arbres...
Je vis même l’une de ces bêtes lécher sa figure
poilue d’où ne s’apercevait qu’une île de peau logeant le nez et les yeux.
Étendu complètement sous le gros arbre du parking dont l’écorce fissurée
transpirait une certaine ancienneté liée au poids de l’âge, l’homme ne bougea
plus, ses paupières s’étaient rabattues et les quelques passants ne manquèrent pas
de le regarder avec circonspection, d’autres avec un brin de sourire qu’ils ne
pouvaient s’éviter sur les lèvres. Trempé dans une extase indicible, la part
visible de cet homme ne transpirait que d’inouïe félicité. L’image inavouable
m’avait bien accroché et en connaitre l’issue était une curiosité dont je ne
savais plus me passer, ainsi je restais coller à l’embrasure de la fenêtre pour
ne rien perdre de l’instant insolite. Endormi profondément comme une momie,
entourée de ces chats qui semblaient faire admirablement le guet autour. L’individu
se grattait des fois le corps comme une brosse à dents passe et repasse sur les dents. Ses mains avec
ténacité parcouraient ses parties intimes jusque dans son cuir chevelu. Malgré
la rudesse de la chaussée où il était couché, son corps se tournait à sa guise
comme une girouette à la merci du vent. Ses ongles crépitaient sur sa peau comme des pop-corn en train de frire sur la poile, des éraflures rouges se dessinaient
sur sa peau de baderne, les cernes sous ses yeux tremblaient comme si une
tension interne subsistait malgré le sommeil. Captivé entièrement, je ne savais
même plus de combien de temps que je
m’étais planqué derrière la fenêtre observant avec indiscrétion cette scène
saugrenue. Puis dans un soubresaut
soudain, l’homme se levait la main balayant son visage, d’une grimace presqu’ instinctive,
qui se coloriait avec une pâte jaunâtre, son nez se renfrognait et une moue
s’imprimait sur sa figure. Essayant de comprendre ce qui s’était passé quand je
vis l’homme lever les yeux vers l’arbre comme s’il cherchait à trouver quelque
chose ; il s’accroupit et prit une pierre qu’il lança sur une branche d’où
décolèrent plusieurs oiseaux. Je m’esclaffai d’un rire subit. C’était donc une
fiente d’oiseau qui avait réveillé le vieil homme inopinément. L’odeur acariâtre
avait inondé ses narines jusqu’à le tirer des bras de Morphée. Involontaire
devenait cet élan de sourire ininterrompu que je ne savais maîtriser.
J’imaginais ce que pouvait être le goût de la matière âcre qui avait conquis sa
bouche, car je l’ai vu cracher à maintes reprises. La langue pendante à l’air
libre, il s’évertuait à expectorer à intermittence. Épris d’une colère
explosive, il donna un coup de pied à l’arbre sous lequel il avait dormi et se
recroquevilla aussitôt de douleur.
Commentaires
Enregistrer un commentaire