La mort dans l’âme...

Apparemment un interlocuteur au bout de fil décrocha rapidement. Une conversation s’entamait entre les deux personnes, d’abord en espagnol, puis dans un idiolecte similaire que je ne savais vraiment décrypter. Plus les mots coulaient, plus je voyais croître une conviction que je ne savais élucider dans la tête du docteur, jusqu’à ce que je pus lire sur son visage un sourire sarcastiquement malicieux, une forme de légèreté pleine de condescendance qui avait balayé toute la circonspection qu’avait son regard dès son entrée. 
Son siège retourné fixait la fenêtre, et nous n'en voyons plus que le dossier d’où s’apercevait sa petite tête pleine de cheveux grisonnants. Leur dialogue était d’une convivialité que je soupçonnais moins intéressante pour la situation que nous souhaitions voir changer. 
Quand il termina l’homme se fit pivoter sa chaise pour nous faire une ordonnance sans dire mot. Je tentai de m’enquérir s’il lui prescrivait un médicament contre la tuberculose, il me répondit que cela ne serait important que s’il commençait à avoir des douleurs insupportables dans la poitrine et pour l’instant l’important était de soigner la toux.
-          Mais la toux, je veux bien que vous la soignez…mais la tuberculose si vous ne la soignez pas, cela peut causer des dégâts irréversibles dans le corps de cet homme. Ne le pensez-vous pas` ?
-          Tu n’es pas médecin, et ce n’est pas à toi de dire ce qu’il lui faut, me vociféra-t-il, sa maladie est encore bénigne, nous interviendrons que lorsqu’il sera nécessaire maintenant ce n’est encore qu’embryonnaire, pas la peine de nous alarmer.
-          C’est ça le serment d’Hippocrate en Espagne ? lui rétorquai-je la voix ferme et le visage glacial.
-          C’est que dit la loi sur la prise en charge sanitaire des immigrés que vous êtes, me dit-il en me jetant presque l’ordonnance qui glissa de la table pour s’affaler sur la petite moquette de son bureau.

Je la ramassai un peu désabusé. Comme sonné par un uppercut soudain. Nous n’étions que des laissés pour comptes dans ce pays où nous espérions survivre. Le danger de ne plus vivre n’était pas si loin comme nous l’avions pensé en quittant ces terres qui nous ont vu naître. La menace avait changé de forme : elle était insidieuse, espiègle, subtile, permanente, et n’importe qui de cette administration publique dans cet état, réputé de droit, nous l’appliquait dans une facilité déconcertante au nom du respect des instructions. Le mal s’était revêtu de la force de la loi et nos destins devenaient encore plus précaires qu’hier.    

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