En rentrant le soir...


Les portes coulissantes s’ouvrirent, des personnes sortaient d’un pas empressé, se faufilaient pour ne point rater les correspondances. Ici la ponctualité était une seconde nature que les enfants assimilaient dès le ventre de leurs mères, qu’elle devenait presque congénitale, les rendant presque d’une intolérance machinale au moindre retard qui les froissait dès qu’il était plus qu’évident. Il paraîtrait que c’était le signe de ce sérieux qui a fait de ce pays, un des plus prospères d’Europe malgré un sous-sol qui n’a été gâté par la création. D’ailleurs, il est le symbole d’un capitalisme triomphant et passif pour qui ne comptait que la taille du lucre, considéré comme essentiel à son existence. 
Dans la rame où je m’embarquais, ne s’entendait qu'un ronronnement doux, le silence avait conquis les visages paraissant crispés, vides, timides, comme si les gens s’évitaient, ne rêvaient que d’être seuls, parfaits dans l’intimité de leurs vies privées, disparaître de cette cohabitation publique qu’ils subissaient par cette nécessité de mouvements pour se rendre d’un lieu à un autre au nom des interactions sociales. 
D’ailleurs, souvent dès qu’ils descendaient du métro, nous pouvions les voir se hâtant à grandes enjambées vers le lieu de leur destination. Adossé contre la petite rambarde jouxtant l’une des portes, mes yeux regardaient dans une latente observation, une tristesse patente jubilait sur la morosité, qui semblait avoir peint les hommes et les femmes dans un monde qui nous a toujours été présenté comme ayant rempli les critères basiques de la jouissance de la vie humaine. 
Et pourtant, les gens semblaient empêtrés dans une incertitude d’un lendemain que ne savait sécuriser personne. Le pays, à l’instar d'autres européens, croulait sous bien d’instabilités qui ne cessaient de remplir l'économie du monde moderne dans lequel il était imbriqué. Le peuple en souffrait. Que des stress, des tresses de complications malmenaient son bonheur de vie. 
Le bonheur ne semblait point un acquis pour l’homme ; il paraissait ne valoir que des petites parcelles de victoire que nous remportions sur le désastre auquel semblait si bien destiner l’existence humaine. À regarder cette masse de gens, noyée dans une sorte de résilience leur permettant de supporter la vie, se comblant d’illusions pour croire aux lendemains, je me disais que exister est une pénitence que nous agrémentions des petits plaisirs restant comme des souvenirs dans le fond de nos esprits, nous satisfaisant d’avoir pleinement vécus, alors que nous passions la majorité de notre temps à résoudre des problèmes, ainsi qu’à nous inquiéter. 
La voix de l’automate indiquant les arrêts me sortit de mes milles et une réflexions, je revenais dans la plénitude du présent, la conscience de l’instant me fit comprendre que j’étais arrivé. 
Je m’assurai que le sac pendait bien à mon épaule gauche, que le téléphone gonflait bien la seule poche de ma chemise, je franchissais aussi d’un pas hâtif la porte dès qu’il ouvrait. L’ascenseur que je pensais prendre était déjà comblé de monde, je devais me rabattre sur les marches de cet escalier en béton qui me sortait non loin du grand boulevard qui fend en deux le quartier. 
Il me fallait le traverser pour arriver à la maison. Le passage piéton à proximité était rayonnant de son jaune nouvellement peint, je m’y approchais lentement, l’esprit en alerte, car depuis l’accident qui a failli me coûter ma jambe gauche dans mon enfance, une peur subite trônait dans ma tête à l’approche de l’instant de traverser une chaussée. 
Difficile de croire qu’un adulte se voit inséminer d’un fait datant de plusieurs années auparavant, qui a pu créer une survivance permanente du passé, dès que l’élément essentiel de sa faisabilité se voyait gratifier de présence dans le milieu de l’instant vécu. La jambe lourde, rien ne me pressait à poser la plante de pied sur la ligne jaune malgré que la priorité m'était acquise selon le code de la route.  
Dès que je m’assurai qu’aucune voiture n’était en vue, je traversais tranquillement jusque de l’autre côté. Une fois la porte de la modeste demeure franchie, enfin je comprenais la crispation non apparente de la collectivité vécue dans un espace public. L’embarras que valait cette cohabitation obligée et collective. 
Je commençais à avoir froid, la fraîcheur dehors m’avait déjà bien imbibée, j’en ressentais toute la pertinence à chaque millimètre de mon corps qui cédait au froid. De l’air chaud m’était fort indispensable pour me réchauffer. 
Je pensai encore à ces longues séances le soir dans le village autour du feu, quand soufflait la brise vespérale de la saison sèche comblant la nuit de son insupportable fraîcheur que nous combattions avec les mains suspendues au-dessus des flammes de notre petit foyer. 

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