Ce rêve qui ne plut guère au président...

Avant que ne débarquât le premier visiteur, le président prit son téléphone pour parler au professeur N'kusu. Une longue conversation en anglais. Des mots rapides échangés entre les deux hommes, un rendez-vous était pris pour le soir du même jour. Seul dans son fauteuil de cuir, assis dans son bureau, il paraissait intrigué. Un rêve pendant la nuit dérangeait sa conscience. Le rêve n'était que le prélude de ce que la bonté de la providence se permettait de vous révéler en toute magnanimité. Ils n'étaient point à négliger. Nous sommes africains, se disait-il, et dans la cosmogonie de nos aïeux, le songe a une valeur prémonitoire. Cette nuit, son sommeil n'a pas été de tout repos, il n'a cessé de faire des rêves successifs à travers lesquels il se retrouvait avec son défunt père dans une foret poursuivie par des lions. Pendant leur fuite, ce dernier ne faisait que l'engueuler sans raison, puis un moment donné, ils retrouvèrent dans une clairière, pris au piège au milieu des fauves de toutes sortes, les crocs dehors, les gueules ensalivées, les yeux transpirant d'un appétit débordant. Un échange des mots virulents avec son père eut lieu, pendant que les bêtes sauvages s’avançaient lentement, puis, avant que son père ne l'en avisa, une lionne lui arrachait la partie droite des fesses. Il sursauta du lit tout en sueur en pleine obscurité. Vite, se saisit du revolver Magnum, toujours chargé, qui se trouve sous son oreiller et le tendit dans le vide. Son regard balaya d'un trait toute l'étendue de la chambre, il s'inclina pour voir sous le lit, rien n'était à signaler, absolument rien. A travers la fenêtre, il pouvait voir les militaires en faction faisant la garde, kalachnikovs en bandoulière. De sa chambre, il pouvait aussi sentir une timide odeur de marijuana venant de l'extérieur. Son revolver dans la main droite, il se saisit d'une bouteille de whisky, la but au clairon jusqu'à la lie, sortit un cigare cubain, l'incendia, s'assit les pieds sur la table, se mit à fumer. Il regardait le portrait de son père accroché au mur  avec un air de dédain. Son visage émacié lui renvoyait une désapprobation tacite et totale. Il en percevait la charge dans sa conscience troublée. "Tu ne m'auras pas, espèce de salaud, de là où tu te trouves, tu y resteras, cria-t-il en encensant la photo de la fumée de son cigare", il sortit une longue liane sous le sommier de son lit, et se mit à fouetter la photo sur le mur marmonnant des incantations Kinyarwanda.

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