Le souhait fou du président...

La fin de son dernier mandat lui parait comme un long tunnel au bout duquel il faut rendre des comptes. Un devoir auquel il ne compte pas souscrire. N'est-il-pas, lui, celui à qui ce peuple doit le premier vote libre et démocratique depuis plus de quatre décennies ? N'a-t-il pas modernisé ces routes qui ressemblaient à des pistes de savane, dont les dimensions, aujourd'hui, sont presque les mêmes comme on en trouve dans les grandes capitales du monde ? Un peuple ingrat, se dit-il en claquant les mains.  
Le corps encore engourdi, il se leva lentement de son lit, avança les pieds nus vers la fenêtre fumée de sa chambre pour laisser dériver son regard sur les lueurs de soleil qui s’étendaient déjà sur le fleuve paisible où quelques pirogues sillonnaient. Cette vaste étendue d'eau lui rappelait toujours sa pêche infructueuse au bord du lac Lankanyka ; des fois, quand la cuisine familiale faisait du retard, son estomac sous le talon à ne plus se retenir, il dérobait discrètement une canne à pêche de son père révolutionnaire invétéré et affairiste avéré pour tenter une expérience d'indépendance alimentaire. Il a vu plusieurs fois son père s'y prendre avec tant de facilités, il connaissait le rituel, mais, jamais il n'a réussi à attraper, ne serait-ce qu'un poisson. Il lançait et relançait l’hameçon dans l'eau, puis, bredouille ressortait-il quand il pensait avoir saisi quelque chose. Finalement, il se rabattait sur la casserole familiale.
Il alla s'asseoir sur sa table de bureau, ouvrit un jeu de vidéo pour s'exercer virtuellement à sa passion, et aussi, restant attentif au son de Radio France International. Les informations nationales ne le préoccupaient pas beaucoup ; il avait une horde de lèche-bottes qu'il savait prêts à dégainer à la moindre attaque, et le compte-rendu lui serait fait dès que possible. 
Son triomphe dans cette course virtuelle de motos garnissait sa volonté d'un embonpoint de fer, qui le prédisposait à croire qu'en politique aussi, il suffisait de faire pareille, surtout de ruse et de force avec une armée somme toute dévouée à sa protection, pour s'assurer une permanence au pouvoir jusqu'à la sénilité. Un sourire narquois traversa ses lèvres révélant ses incisives entartrées de jaune et de chocolat qu'il tenta en vain d'éclaircir avec un dentiste américain qu'il avait fait venir expressément à Kwasa-Kwasa, la capitale du Ronco, il y a quelques années. 

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