Un souvenir lointain qu'envie le président...

Son joint s'amenuisait au fur et à mesure qu'il aspirait et expirait. Son souffle calme illuminait la rouge combustion entre ses doigts dans un élan vif intermittent. L'encens tombait sur le pavé dans une indifférence totale, les pieds sur la table, le chef de l'état se perdait dans ses souvenirs d'adolescence, surtout ses conversations chez les rastafaris. Il revoyait encore le tour circulaire de ce long joint passant de mains en mains dans ce cercle constitué chez le vieux N'kiasi, qui brillait d'un charisme hors du commun, avec son verbe doux et persuasif, personne ne savait aller à l'encontre de sa toute puissante autorité. Dans ce taudis où résonnaient des chansons de Bob Marley, des discours savants que l'herbe insufflait aux esprits, des théories de justice sociale mieux que les multiples réflexions de la faculté des sciences politiques de l'université de Kasapala. Le boubou puant de sueur et de marijuana mêlé à la nicotine, N'kiasi n'était sollicité qu'en dernier ressort, quand les différents protagonistes étaient à cours des mots, et que la confusion ne semblait point avoir été levée entre les différentes parties, avec un doute plus que persistant. D'un air plus qu'indifférent, il suspendait sa main en l'air, le joint laissant échapper sa fumée lente dans l'atmosphère de cette maison faite des pailles et des tôles rouillées, récupérées dans la décharge de la mission catholique des environs qui avait réfectionné son toit datant de la colonisation. Sa réponse était incontestable, faisant presqu' une unanimité dans la discussion. Sa position tranchait le remue ménage entre les uns et les autres qui semblaient se remplir d'une certitude qui leur paraissait enfin comme une révélation. Maintenant qu'il était chef, c'est cette aura qu'il voulait qui semblait ne pas lui être naturelle. La seule phrase de N'kiasi qu'il ne cessait d'appliquer disait :" le chef boit beaucoup, il pisse peu.", cet aphorisme était son préféré dans le fourmillement des quolibets que se lançaient les leaders de partis politiques. Il voulait être au dessus de la mêlée comme il entendait toujours N'kiasi le dire, un chef se doit d'avoir de la hauteur. D'ailleurs, lors des réunions officielles, il mimait les attitudes du vieux rastafari, imaginant ses tics au visage en tel ou autre circonstance, des fois souriant comme il le voyait faire dans le vide à l'occasion de rien, suscitant carrément moult interrogations de son entourage, c'est qu'il considérait comme la mystique du chef. Il évitait de dire à sa famille qu'il passait des journées entières chez les rastafaris que son père qualifiait d'une bande de rêveurs et de drogués. Quand, en famille, les critiques s’entonnaient contre la communauté à laquelle il appartenait depuis en catimini, il se moquait de la légèreté avec laquelle les voix s’élevaient, finissant par juger d'infiniment petite la personnalité de chacun des siens. Lorsqu'il leva son postérieur de la chaise, il se faisait déjà très tard, ses paupières étaient encore bien vives, aucune trace de sommeil, il alla dans sa chambre avec deux bouteilles de Vodka qu'il but coup sur coup, l'une après l'autre. Ainsi il put s'assoupir après avoir vérifié le revolver sous son oreiller.

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