Avant que le fou ne disparaisse...

Une odeur nauséabonde montait en coulisse, lentement, fécondant l’air de sa semence acariâtre, incommodant les narines que chacun se pinçait les siens pour ne pas inhaler ce gaz pollué qui avait conquis tout l’habitacle. Les quelques passagers s’impatientaient devant la porte qui ne s’ouvrit que quelques longues secondes après l’arrêt des machines. Question de curiosité, je restais voir ce que le type, qui maintenant était étalé sur le tapis, allait finir avec son aventure.
Dès que montèrent les premières personnes à bord de la rame, ce fut la stupéfaction devant ce corps étendu par terre, ronflant comme un générateur. Le pas hésitant, certains l’enjambèrent pour aller prendre place, d’autres, carrément, descendirent pour trouver place ailleurs que dans ce wagon. La même stupéfaction s’empara des contrôleurs lorsqu’ils atteignaient la rame déjà en marche, ils s’arrêtèrent un instant, le mirèrent, puis prirent leur talkie-walkie pour un échange bref et rapide ; l’un d’eux s’accroupit pour réveiller l’homme, sa main avec délicatesse le secoua aux épaules une première fois, une seconde fois, puis un sursaut le tirait des bras de Morphée où il s’était assoupi. Le visage renfrogné, les yeux clignant par intermittence se faisaient frotter par ses grosses mains velues, qui essuyèrent aussi une légère bave qui avait mouillé sa joue gauche. 
Il se leva non sans difficultés, s’accrochant à l’un de ses interlocuteurs pour ne pas perdre pied, et se rassit sur son fauteuil. De loin, la scène n’échappait pas un seul moment, du billet que les contrôleurs voulaient s’enquérir, l’homme n’en brandit aucun. Dans son regard bien béant s’engloutissaient toutes les questions qui lui étaient posées, aucune émotion ne transparaissait dans ses attitudes, son silence affichait une solennité imperturbable que les contrôleurs décidèrent de partir. Longtemps après le passage du contrôle, l’homme resta le visage livide, avec ses cheveux hirsutes, comme sous hypnose, ses yeux fixaient impassiblement le siège vide en face du sien, bien que des fois il secouait ses reins, mais le black-out de son visage me semblait être aussi celui de l’âme.
Un crissement se faisait entendre, s’entremêlant avec le couinement des roues sur le rail, un son bien aigu et régulier dont je ne savais déceler la provenance jusqu’à ce que je me rende compte que l’homme grinçait les dents, il se frottait les molaires avec dévotion. Ses mandibules enflaient comme prêtes à exploser sous la pression du mouvement ; l’instant que le train s’enfonça dans un tunnel, accentuant la sombre lumière dans la rame, l’homme se leva de son fauteuil pour aller vers l’autre rame. Il disparut ainsi de ma vue, je ne le revis plus jusqu’à la gare où je descendais.  Sur le quai avant d’aller vers la ville se déployant dès que le seuil de cette grande bâtisse pouvait être franchi, ma curiosité me poussa encore à un coup d’œil d’inspection, malheureusement, il en fut absolument rien et, inutile, je n’aperçus aucune silhouette ressemblant à la sienne. Je reprenais donc ma route vers ma destination, la démarche un peu lourde, le cœur serein.  

          

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