Un fou dans le train...

Son regard balayé par les reflets de paysages fixait sans désemparer la glace de la rame de train où j’étais embarqué, l’ambiance était sinistre et silencieuse, ne s’entendait que le couinement des roues sur le rail : un son doux et monotone qui traversait l’habitacle de fond en comble. Bien qu’amaigri et le malaire saillant, ses yeux pétillaient de vie et de dignité ; vêtu en guenilles, chaussé des bottes d’un cuir périmé dont les talons se confondaient à la semelle, il fixait tout ce qui entrait dans son champ de vue. Quelques fois ses lèvres se mouvaient, chuchotaient des mots incompréhensibles, puis se refermaient d’un rythme décéléré, de nouveau la tranquillité imprimait ses traces sur son visage émacié. Immobile sur sa chaise, il ne s’apercevait que sa respiration qui gonflait sa poitrine dans un mouvement alternant aspiration et expiration. Affalé complètement sur son dossier, il regardait cette fois le plafond de la rame où brillait  une lumière feutrée s’étendant dans les coins et les recoins avec une lueur tendre qui ne semblait point nuisible aux yeux, son être paraissait bien obnubilé par cette lumière suave où son imagination s’amusait de peindre des ombres d’oiseaux et de nuages, un rire narquois s’arborait sur les os visibles traçant les contours de sa trombine. Comme dans un geste inconscient, ses mains se levaient pour tracer des lignes dans l’espace lentement, comme un chorégraphe d’opéra, ces doigts synchronisés se croisaient, se suivaient, se frottaient et se relâchaient.
Une satisfaction émergea de son calme, l’homme se levait de son fauteuil, et avec un sérieux de moine il commença à agiter ses mains comme un manutentionnaire en train de classer des marchandises. Dans la rame presque vide, quelques passagers commencèrent à se rendre compte de l’insolite et du burlesque que se revêtaient ces gesticulations, toute leur attention se posait sur l’individu qui, en milieu du couloir, à longueur équidistante entre les deux bouts de la rame, gigotait. Certains parurent amusés, d’autres, inquiets se déplacèrent se considérant plus prévoyants et prévenants. Quand il eût fini, il alla s’asseoir à sa place le regard de nouveau perdu dans la glace où défilaient rapidement les paysages qui s’imprimaient sur ses pupilles paraissant presque vides. Son dos se coucha sur le dossier moelleux du fauteuil, un soupir long exfiltrait de ses narines, sa tête retombait en arrière, ses yeux se refermaient comme dans une ultime prière, puis l’homme s’endormit.
Quand le train entra à la gare, il ronflait, presque recroquevillé sur la chaise, où, instinctivement, il tentait sans y arriver d’encastrer ses longues jambes sur le siège ; des fois, il s’entendait gratter ses ongles sur son corps mince, sa bouche bafouillait des longues palabres glauques qui choquaient les consciences des autres passagers ne rêvant que descendre rapidement dès que le train stopperait. Puis la rame se secoua un instant, un bruit se fit entendre dans la foulée, suivit d’une pétarade redondante : l’homme était tombé par terre et son postérieur en cognant le sol avait dessaisi la vigilance de son sphincter, la canonnade de gaz devenait inévitable.    

          

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