Un homme sans toit...
Devant l’horizon couvert de sombre déférence, l’homme
gardait son silence, ses lèvres sèches restaient coller l’une sur l’autre. Son
regard impassible ne laissait rien transparaitre, de marbre, il était figé
devant ces mots que lui déversaient ses interlocuteurs bien animés de mauvaise
foi. De caractère impulsif, il tentait de contenir les flots déferlants de
cette colère qui montaient dans ses entrailles. Ses yeux ne fixaient point ces pourfendeurs,
plutôt tout le charme des pics enneigés derrière leurs têtes qui captivait son
attention, vers lequel il avait choisi de jeter son dévolu, évitant ainsi de
baigner dans toutes les insultes qu’ils lui vociféraient avec emphase. Petit à
petit, une quiétude imperturbable avait élu domicile dans tout son corps, son
mutisme total avait fini par prendre le dessus sur les instants, les offenses
s’étaient tues. Ses interlocuteurs le miraient avec haine ; l’homme se
leva de son banc, se pinça le nez pour endiguer une rhinorrhée, continua en
reniflant son effort. Un sourire narquois s’inscrivait sur ses lèvres et il
tournait le dos à la sarabande qui n’attendait que sa réaction - il en fut
absolument rien.
Ses pas sur sa démarche, dandinant, résonnaient sur le pavé,
sa silhouette commençait à se dissoudre dans la multitude anonyme qui arpente
les rues de la ville chaque jour jusqu’à s’y perdre. Son dos incliné drainait
un gros sac rempli des modestes rations qu’il avait reçu à la soupe populaire,
et quelques vêtements de la magnanimité catholique à travers Caritas. Le froid
était abordable avec l’été qui s’annonçait, dans sa tête, une lancinante
préoccupation retentissait avec la nuit prenant pied, un endroit pour dormir
lui serait fort utile, une nécessité qui lui ferait tant de bien, mais hélas,
depuis qu’il avait perdu son emploi, avec le divorce qu’il a préjudicié, ainsi
que le reniement dont il était victime de la part de ses enfants, une
impression de grand vide planait dans son esprit. Une abondante pilosité
couvrait désormais son visage où ne s’apercevaient que ses lèvres sèches et ses
épais sourcils. La clarté du jour s’absorbait dans le noir tendre du
crépuscule, il fallait dormir, mais il ne savait où.
Ses pas le conduisirent vers Vidy, la vaste esplanade en
face du lac était d’une indicible accalmie, un souffle doux rampait au ras des
eaux jusqu’à embrasser les feuillages d’arbres bruissant d’allégresse ;
dans cet espace désert, il se sentait dans l’intimité de chez soi. Non loin de
la lueur d’un lampadaire, sous un grand arbre, il déposa son colis bien lourd.
Enfin il sentit un soulagement envahir ses muscles qui ont trainé son gros sac
dont il ne s’était départi en aucun moment de la journée ; il s’étirait
les membres dont les articulations craquaient pour se relaxer quelques minutes,
sortait un petit paquet de biscuits qu’il commença à grignoter le regard perdu
sur cette obscurité qui recouvrait les eaux bleues du lac Léman ; la
fatigue s’était enfin révélée. Il se déchaussa et une odeur de camembert se
répandit en fraction de seconde dans son périmètre, ses narines s’en
régalèrent, il pensa ce fromage dont il se remplissait le ventre à satiété dans
la ferme de ses parents dans les tréfonds de la Suisse Romande dans la vallée
de l’Orbe. Un sourire inconscient traversa son visage broussailleux sous la
couette dont il se couvrait sur le sac de couchage qu’il étendit par terre. Les
yeux fixant le ciel, dans les bras qu’il perdit conscience du présent.
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