Une chaleur accablante à Lausanne...

À la gare de Lausanne, la chaleur est têtue malgré les vastes espaces sous lesquels nous nous mouvons, les allées et venues sont indéchiffrables sur le pavé d’où ne s’entendent que des trottinements et des roulements. La mine défroquée, joviale, pensive, les gens se croisent en toute indifférence, la voix aimable depuis les haut-parleurs annonce l’imminence des départs et d’entrée au quai des trains. L’ambiance est bruyante, des onomatopées retentissent, surtout le fer crissant lorsque passent les trains cargos avec ces wagons chargés de marchandises. Un instant désagréable à vivre pour les passagers rassemblés attendant avec impatience de partir. Des voix se mêlent dans un brouhaha presque monotone, ayant conquis l’ouïe qui ne semble plus incommoder, mieux s’accoutume à l’intensité suave dont les décibels remplissent les lobes jusqu’à s’affaler sur un tympan sous le charme de ce son devenu inévitable et  tolérable. Ma chemise trempée de sueur colle sur ma peau, elle dessine les formes de muscles que travaillent les exercices que je m’assigne tous les matins à mon réveil. Une odeur de sueur se confond avec la timide saveur de ce parfum que je m’étais aspergé dans ce magasin du centre-ville en essai. Je défais les boutons jusqu’au nombril pour m’aérer encore plus, le t-shirt qui couvre mon thorax est bien mouillé, une sueur abondante l’a trempé, et le thermomètre affiche 35 degrés.
La rame dans laquelle je monte pour me rendre vers les vignobles de Begnins semble bien sinistre, les rais de soleil qui transpercent l’habitacle l’ont rendu un peu triste, les visages de gens assis sont fades : certains s’illuminent d’attention passive dès que je pointe le nez et d’autres bien absorbés dans l’embarras que suscite cette foudroyante chaleur tropicale, qui fait intrusion dans ce climat tempéré derrière la bonne excuse des temps estivaux. Un éventail à la main, je tente de me rafraîchir aussi en cherchant un siège où m’asseoir tranquillement, le pas hâtif, je parcours le couloir guidé par mon intuition et ma raison pour choisir l’endroit afin de poser mon corps éreinté par le sac que mon épaule supporte depuis le matin. Une fatigue commence à me laminer.
Dans un compartiment vide, dont un siège vide à côté d’une fenêtre, je m’assois, baisse la persienne pour filtrer les rayons de soleil. Une douce lumière feutrée est maintenant perceptible, quelques lueurs planent dans la timide obscurité. Je me sens apaisé dans un répit, qui tombe à pic ; un soupir long se fait entendre, je passe un mouchoir sur le visage où ruissellent quelques gouttes de sueur. Le temps de profiter de ce repos, mon regard se perd dans le vide qu’ouvre un bref moment mon esprit dans l’infinitude horizon de mon imagination, le silence qui s’y meut me fait perdre le sens du réel, mes yeux deviennent béants, comme un océan d’inattention. Puis une image épique me rappelle au présent, le visage d’une femme à la peau blanche, légèrement cuivrée, avec des cheveux noirs qui mettent en exergue cet éclat de jeunesse que dégage son coup d’œil vif.
Elle est assise à l’oblique de là où je suis assis, il m’est impossible de ne pas la voir dès le premier quart de tour de mes vertèbres cervicales. Maintenant que nos yeux se croisent, elle fronce ses sourcils et laisse une moue revêtir son visage d’une teinte bien acariâtre. Elle boude même, me semble-t-il. « Idiot caprice de jeune fille, me dis-je », elle lève son postérieur pour se mettre sur le siège opposé pour que je ne l’aperçoive plus. Peut-être que le soleil l’a malmené tellement, qu’un regard, fusse-t-il simple sur elle, paraissait bien superflu et embarrassant qu’elle n’eut pas d’autre choix que de s’énerver et de changer de place.

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