L’héritière du dictateur...

Maladière lac, m’avait-elle dit qu’elle se rendrait, l’usufruitière de la villa que j’occupe depuis deux mois sur les hauteurs près de Chailly. C’est donc là-bas que je devrais la rencontrer pour parler de la yaourtière que je suis en train de vendre et de la manne rentière dont elle bénéficiait depuis la mort de sa mère. Avant de sortir de la maison, je baissai les persiennes d’un trait, remis les bières dans le frigidaire bien qu’une envie tenace voulût que je mouillasse le gosier. Une appétence débordante semblait bien m’aspirer depuis un certain temps, une goutte d’alcool me devenait indispensable chaque jour avant que je ne me sentisse bien dans ma peau. Dans la visière de mes pensées s’apercevait déjà le prix sur lequel je ne négocierai rien, de ma volière, le perroquet tournoyait sans cesse, faisant entendre ces mots redondants comme un réquisitoire. Derrière sa fièvre chansonnière, l’oiseau dans la cage répétait ses paroles dans un roulement insupportable, qui attisait les degrés d’une impatience qui n’était point casanière. À peine la porte fermait en sortant de la maison, déjà la grande clairière au bas de la vallée était visible, la rivière qui y coule retentissait dans une écholalie soyeuse meublant les instants matinaux. Je me sentais d’aplomb, avec ces deux tasses de café que ma cafetière avait si bien chauffées. Dans la voiture qui m’éloignait de la chaumière, j’apercevais le soleil se levant sur un lac resplendissant sur sa lueur de doux matin, le vent parcourait suavement les plantes frontalières, qui se trouvaient à la lisière de la forêt.

Des arbres printaniers avaient fleuri. Tout paraissait bien beau, l’habitacle de ma petite japonaise était transpercé d’une tendre fraîcheur quoique toutes les glaces étaient montées. Dans ma poche aussi, la somme rentière que je lui devais chaque fin du mois, bien emballée dans une enveloppe blanche que je cachais sous le tapis de mes pédales – j’avais encore le réflexe du pays où l’argent ne se garde pas n’importe où et n’importe comment. D’ailleurs, je pensais à ma grand-mère qui gardait ses billets de banque sur le bout de son pagne, qu’elle nouait sous forme de garrot au niveau de la hanche, c’était sa meilleure garantie d’en assurer le contrôle effectif, car, bien de fois, ça lui arrivait de se plaindre d’avoir perdu quelques-uns et, personne n’avouait le crime.

D’après les racontars de mes voisins, l’usufruitière de ma villa est une dépensière, avant de devenir héritière, elle n’était qu’une buvetière, aussi propriétaire d’une gargote non loin du grand marché, des fois, son amant qui était chef d’un pénitencier pour femmes, lui proposait des séances d’éducation sexuelle pour des prisonnières. Elle en recevait des prébendes qu’elle dépensait aussitôt dans la mode vestimentaire à laquelle elle semblait si fortement attachée. C’est qu’ils auraient entendu dire la grand-mère de la concernée de sa propre bouche quand elle évoquait les souvenirs du pays dont elles sont originaires : « le Zaïre », depuis plus de dix ans, elles vivaient leur exil politique en suisse Romande.

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