La belle me claque la porte ...

Un silence complet, qu'entre nous ne s'entende plus que le son du silence, c'est ainsi qu'elle a décidé, et je me suis résolu d'accepter, un peu désarçonné par l’extrême décision. Un peu surpris aussi, mais je garde tout mon calme, sens la température de la tristesse croître dans le fond de mes entrailles; je fais le moine bouddhiste, reste zen, souris à cette violence tacite...j'avoue qu'elle m'a pris de court...elle, si pleine des mots gentils et aimables, dont avait commencé à se gaver la modeste âme du poète. Sur mon téléphone, je relis le message, les mots sont doux pour un contenu bien rêche, ils valent désormais le grand fossé entre nous, d'ailleurs elle conclut en me demandant de ne point insister pour lui faire changer de décision.
Mon sort dans son existence était scellé, rien ne pouvait plus changer sa passion inoxydable. La main posée sur la joue, mon esprit s'envolait dans le monde de mes modestes souvenirs, revoyait la première rencontre sous le bois de Dorigny: son image de petite fille de seize ans répondant avec timidité à son interlocuteur, entre ses mains cette plume dont elle se servait pour juguler son calme et tenir une conversation raisonnable. J'entendais encore son rire frivole retentir de mon téléphone quand nous avions eu la dernière conversation avant l'instant fatal que rien ne prédisait, alors rien ! Certes, j'aurai souhaité réagir, mais  me suis tu, épargnant à mon cerveau moult réflexions, " qu'il me soit fait selon sa volonté, me dis-je", la coupe fusse-t-elle amère, je la prendrai jusqu'à la lie. Sur mon lit, en petite culotte, je cogitais, non pas sur sa décision, mais sur l'illusion que la providence laisse perpétrer dans chaque destin; ce rêve, qui, dès qu'il s'empare de votre existence, vous procure une forme de satisfaction, apaisant des inquiétudes latentes dont l’individu semblait ne pas s'en être rendu compte. Avoir fait sa connaissance m'avait procuré cette belle sensation, cet acquis dont je me réjouissais à haute voix, je ne savais le lui cacher. C'est peut-être là que j'ai péché, ces confessions de bonne foi qu'elle peut avoir considéré pour des flatteries, une démarche tentant à embobiner son libre-arbitre, puis la posséder complètement à ma merci. La courte missive sur mon téléphone trouvait, à mon humble avis, une explication...je m'en contentais, savais que ça ne valait point la peine d'insister pour qu'elle m'en fournît une: la vraie version ayant motivé sa décision.
Je me consolais alors d'avoir son numéro dans mon répertoire, il en restera ainsi, jusqu'à ce que mon monde ne s’effondrât, qu'il ne disparût avec moi. J'oublierai aussi ce triste souvenir au fur et à mesure que le temps passe, mais elle restera mon amie pour l'éternité. Un petit serment que j'aurai bien voulu lui faire, que je ne saurai plus faire depuis qu'elle m'a imposé cet absolu silence. "Respecte mon choix, m'avait-elle-demandé en concluant sa tendre poésie de séparation", j'avais promis de respecter son choix. Douloureusement j'avais dit: "Oui."

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