Une réunion interrompue...

Devant la baie vitrée où je me tiens, j’entends parler  mes interlocuteurs avec des phrases savantes qui n’incitent nullement mon cerveau à la réflexion. La ville ne s’aperçoit qu’en miniature depuis cette tour, des minuscules mouvements comblent les rues paraissant comme des longues lignes balafrant l’espace avec une tendresse régulière. Des lignes multiformes qui cisèlent de bout en bout cette étendue de terre de Kinshasa où le roi Makoko règne comme le souverain absolu avant que Stanley ne le persuade de se mettre sous la protection du roi barbu. Mes interlocuteurs parlent de droit et d’économie, de forêts, de biodiversité…et surtout de pognon. Ils savent qu’en la matière, je fais preuve d’une passion débordante et d’une ingéniosité sans limite. D’ailleurs, ils en ont eu la preuve à Bogotá lors du voyage que nous avions fait. Mais, en cette matinée, ils ne sentent pas la vivacité et l’engouement dont j’ai toujours fait montre. Une absence m’habite, une victoire du vide qui trône dans mon esprit emporté vers d’autres préoccupations. Une préoccupation inopportune qui m’éloignes de l’instant présent, livrant mon attention pieds et mains liés à la merci d’un souvenir récent. Je rêve les yeux bien ouverts.

Quand la question me fut posée, je ne savais que répondre – de tout ce qui a été dit avant, je n’avais pas la moindre idée, ni un fil de soupçon. Je fis semblant de réfléchir un instant, me raclai la gorge, repris mes cents pas le long de la baie vitrée que les rayons de soleil de midi transperçaient avec hargne que leur chaleur ne pouvait ne pas être perceptible de l’intérieur ; un silence de cimetière dominait la salle, aucun bruit n’était entendu si ce n’étaient que le ronronnement du climatiseur et le trottinement de mes talons de bois sur le pavé. Tous les yeux me regardèrent avec une impatience perceptible et, personne ne se prononça ouvertement malgré les visages affichaient un ras-le-bol patent. Deux réponses surgirent du fond de ma cervelle : l’une me recommandait le silence, l’autre carrément d’avouer que je n’avais rien saisi, car pensant à une autre affaire du genre. Un prétexte poli pour me tirer d’affaire, pour ne point contrarier mes interlocuteurs, ainsi sauver le crédit dont je bénéficiais de leur part.
Je me frotte les mains, caresse mes cheveux bien rasés et dégarnis depuis que j'ai su qu'une calvitie s'était arrogée le droit d’être, les regarde tous dans leur silence fixant le chef que je suis dans la salle bien aspergée de soleil, et dit: " excusez-moi, je me sens pas assez bien pour tenir cette réunion, je dois consulter mon médecin, quelques malaises m'y obligent."     

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